ACTIONNAIRES SALARIES ET GOUVERNEMENT D’ENTREPRISE

 

« Les actionnaires salariés et le gouvernement de leur entreprise »

 

Très tôt, dans la plupart des entreprises françaises, où ce nouveau type d’actionnariat a pu se développer au cours de ces 15 dernières années, à l’occasion de programmes successifs de privatisations, les actionnaires salariés se sont intéressés aux principes de gouvernement d’entreprise, énoncés par les actionnaires institutionnels anglo-américains. Car ces principes représentaient pour les actionnaires salariés une chance à ne pas manquer pour franchir la troisième étape.

 

En effet l’actionnariat salarié s’est forgé plus ou moins rapidement suivant les entreprises à partir de 1960 au cours de deux étapes :

 

La première étape - la participation aux résultats - (période 1960-1986) régie par les textes de lois définissant les modalités de la Participation, de l’Intéressement et des structures (PEG) pour recueillir cette épargne de précaution.

La deuxième étape - la participation au capital - (période de 1986 à 2000) marquée par les ordonnances de privatisation de 1986 et 1994 qui ont permit au pourcentage de capital détenu par les salariés de faire un bond, en passant de 1 % à 8 ou 10 %. Malgré ce poids actionnarial, l’influence de ce nouvel actionnaire restait négligeable et son rôle mal défini, souvent neutralisé par la confiscation du droit de vote individuel attaché aux actions achetées.

 

A partir de 1996, avec le premier rapport VIENOT, avec l’officialisation par l’OCDE des principes de Corporate Governance, préparés par différents rapports britanniques (CADBURY notamment) et par l’ICGN,  plus tard avec le code de bonne conduite de l’AFG-ASFFI, une véritable révolution s’engageait dans les rapports entre l’entreprise et ses actionnaires (Shareholders) et ses différents partenaires (Stakeholders). Parallèlement une profonde évolution de la structure de l’actionnariat s’opérait : éclatement des noyaux durs et des participations croisées, désengagement des banques et des assurances, disparition progressive de l’Etat actionnaire, qui cédait la place à un actionnariat institutionnel français et étranger contrôlant près de 80 % du capital, tandis que s’effritait l’actionnariat populaire national.

 

A partir de l’année 2000, la troisième étape devient une réalité accessible pour les actionnaires salariés : la participation à la gestion de l’entreprise, la participation à l’élaboration de la stratégie et aux responsabilités, ainsi qu’au contrôle des résultats de l’entreprise.

 

Le passage à la troisième étape est facilité par l’arrivée des principes de gouvernement d’entreprise et la pression grandissante des actionnaires institutionnels pour une plus grande transparence et une meilleure gestion des entreprises. Les fonds de pension investisseurs à long terme deviennent des alliés pour les actionnaires salariés : mêmes objectifs, mêmes intérêts, et même perspective.

En effet leur attachement à ces principes est peut-être plus fort que chez les OPCVM français ; car la pérennité et la compétitivité de l’entreprise, recherchés par le respect de ces principes, sont une garantie pour les salariés à la fois de leur emploi, de leur épargne, mais aussi de leur retraite complémentaire.

 

 

 

Parmi ces principes nous retiendrons :

 

-         le principe de transparence et de sincérité des comptes, garanti par l’indépendance et la responsabilité des Administrateurs, et celles des Commissaires aux Comptes,

-         l’exercice des droits de vote (1 action = 1 voix),

-         le rôle souverain de l’Assemblée Générale des Actionnaires pour décider d’approuver ou sanctionner la gestion, les comptes et les orientations stratégiques de l’entreprise,

-         l’exigence d’un bon fonctionnement des contrôles internes et de l’audit interne,

-         le rôle vigilent des Comités de Comptes ou d’Audit au sein du CA, la qualité de l’information financière,

-         la clarté de la stratégie inscrite dans une vision à long terme, la qualité du management pour la conduire,

-         l’aptitude de ce management à gérer une situation de crise….

 

Ils sont autant de critères appelant lors de l’AG annuelle le jugement et la participation active par un vote de la part des actionnaires institutionnels et des actionnaires salariés.

Les deux catégories d’actionnaires sont partenaires et solidaires ; correctement informés et motivés, ils sont aptes à agir par un vote réfléchi et responsable.

 

En outre, depuis à peine deux ans, est apparue la nécessité de mettre en place au niveau international des mécanismes de régulation, pour empêcher que la globalisation des marchés ne dégénère « en jungle », et parallèlement de renforcer les contrôles internes dans les entreprises. Les actionnaires salariés sont sur ce plan également solidaires des actionnaires institutionnels : l’adoption des principes de développement durable, d’une charte éthique, complétant les principes de Corporate Governance. Tous les acteurs de l’entreprise sont mobilisés à des degrés divers, management, organisations syndicales et associations d’actionnaires salariés ; car il y va de la survie de l’entreprise, parfois de sa pérennité, et à chaque fois de sa compétitivité.

 

Après l’affaire Enron / Andersen, les actionnaires salariés sont très attachés à un principe essentiel : la transparence et la sincérité des comptes, garanties par l’indépendance et la responsabilité des Administrateurs, des membres du Comité d’Audit et des Commissaires aux Comptes.

 

Il convient d’affirmer le rôle important et la responsabilité entière des Administrateurs, car ils sont  chargés de définir la stratégie, de contrôler la bonne gestion de l ‘entreprise et après coup les résultats obtenus. Il convient également de préciser la responsabilité pénale des Administrateurs, et si elle est solidaire de celle du Président. Cette responsabilité affirmée stimulera les Administrateurs pour mieux faire leur travail, s’impliquer et exiger du management toutes les informations nécessaires à l’accomplissement de leur mission.

 

L’onde de choc de cette faillite retentissante pourrait hâter le processus de la séparation des responsabilités : pour le Président du CA la stratégie et pour le Directeur Général la responsabilité de la partie opérationnelle.

 

La présence des Comités Spécialisés au sein du CA est un moyen de faciliter la mission et le travail régulier des Administrateurs : ces Comités Spécialisés (des Rémunérations, des Nominations, des Comptes ou d’Audit, de Stratégie, d’Environnement-Ethique et de Gestion des Risques) bien identifiés et séparés, devraient être majoritairement composés d’Administrateurs indépendants.

 

La présence de représentants élus des actionnaires salariés serait nécessaire dans ces Comités. Or lorsque des actionnaires salariés siègent dans les CA, ils ne sont pas dans les Comités Spécialisés, particulièrement celui des Nominations et des Rémunérations. Parce qu’ils dérangent un ordre établi : la cooptation d’Administrateurs, appartenant à la haute administration, de chefs d’entreprises, d’anciens PDG à la retraite, qui votent les rémunérations directes et indirectes des mandataires sociaux, et réciproquement, sans contestation et souvent sans rapport avec les performances et les résultats obtenus durant l’exercice. Nous déplorons que certains mandataires sociaux et les administrateurs de ces Comités Spécialisés soient trop souvent axés sur la création de valeur à court terme, la valorisation boursière de l’entreprise et le volume de stock-options qu’ils vont s’attribuer.

 

Il convient de rompre ce pacte dépassé. Dorénavant une entreprise française de taille internationale n’a plus besoin de la caution de l’Inspection des Finances ou de l’un des Grands Corps de l’Etat,

pour composer son CA. Dans l’Euroland et pour des groupes privés, cela ne signifie plus rien. C’est difficile à justifier ! une entreprise moderne a besoin d’Administrateurs indépendants, libres d’intérêts, expérimentés, aptes à seconder et conseiller le Président, capable d’assumer les responsabilités dans toute leur étendue.

 

Contrairement  à une opinion partagée par certains investisseurs institutionnels, la présence d’un Administrateur représentant les actionnaires salariés est un atout, car il un « Administrateur libre d'intérêt". Fort de son élection préalable par tous les salariés, choix entériné par le vote des actionnaires lors de l’AG, cet Administrateur a une double légitimité, une capacité à résister aux différentes pressions et une parfaite connaissance de l’entreprise de « l’intérieur ». Car les actionnaires salariés, informés de ce qui se passe à tous les niveaux dans l’entreprise, sont une garantie pour les actionnaires institutionnels de la réelle application des recommandations présentées par les actionnaires lors de l’AG, du respect des principes de Corporate Govenance, de l’emprise de cette nouvelle culture de développement durable, et de l’adhésion réelle de tous les salariés à la charte Ethique.

 

Au cours d’un entretien privé avec le Docteur William D CRIST président de Calpers en juillet 1998, nous avons évoqué cette troisième étape, la participation aux décisions et à la gestion de l’entreprise. Les retraités à travers les fonds de pension, tout comme les actifs à travers les associations d’actionnaires salariés sont également intéressés à participer à la décision, afin de s’assurer que leur argent est bien géré, qu’il y aura création de valeur pour l’actionnaire, que l’entreprise se développera sur le long terme, que tous les actionnaires seront respectés et régulièrement informés.

Si les fonds de pension ont remplacé l’Etat et l’actionnariat populaire, il faut constater aujourd’hui que les actionnaires salariés ont remplacé l’actionnariat du « noyau dur ».

 

En conclusion nous reprendront cette réflexion du Docteur William D CRIST : «  Le réel pouvoir aujourd’hui c’est le pouvoir économique. Nous sommes les acteurs de ce pouvoir, mais vous actionnaires salariés, vous n’en avez pas encore conscience. Cependant, ne l’oubliez pas, ce pouvoir économique doit être mis au service des hommes :

-         actifs pour qu’ils s’épanouissent dans leur entreprise ;

-         retraités afin qu’ils jouissent d’une retraite confortable et méritée à l’abri des aléas ;

-         enfin, pour imposer une saine émulation entre les entreprises et pour prévenir les conflits entre les hommes ».

 

 

 

 

Jean-Aymon MASSIE

Président d’AVAS.

Paris la Défense le 15/03/02.